Dans ce désir de résister ensemble au désastre et d’imaginer de nouveaux mondes possibles, l’on se doit de produire des savoirs qui soient transformateurs et qui éveillent l’imagination. Isabelle Stengers dit que : « nous sommes situés par la nécessité de guérir ensemble, les uns avec les autres, des milieux qui nous ont abîmés ».
Ce projet de recherche-création s’ancre dans l’expérience d’un lieu précaire.Un lieu d’interstice entre la ville et le fleuve. Sur les berges à Verdun, déambulant parmi les espaces en friche, mon tracé se laisse guider par les bifurcations des lignes des pas des corps en mouvement. Le monde végétal devient mon refuge. Par la prolifération de leurs motifs, les corps-matières qui y cohabitent donnent vie à desrécits où les frontières se dissolvent. D’étranges fictions en peuplent mes visions.
Par la création d’espaces fictifs en peinture, je propose de mettre en tension savoir-faire et savoir situés, car s’interroger sur nos modes de connaissance nécessite d’autres manières de faire. Dans une réflexion sur la matérialité, l’espace et la temporalité de la peinture, je me questionne sur ses différentes frontières et ce qu’elles donnent à voir. Je découvrel’histoirede l’abstraction au féminin. Je me laisse porter par leur désir de prendre espace et de renverser les hiérarchies.Je m’inspiredu travail d’Angela de la Cruz qui propose une esthétique de l’effondrementpar une présence incarnée qui se manifeste dans les éclatements physiques de la peinture.Je me laisse contaminer par les œuvres mutantes de Fabian Marcaccioet j’apprends commentelle peut devenir un espace de métamorphose.Avec DiannaMolzan, j’explore l’atemporalité de son langage dans une collision d’approches picturales.J’en conclus que la peinture ne peut prendre espace que par une émancipation de ses contraintes. C’est en permettant sa propre transformation que sa vitalité peut prendre forme.
Mais qu’est-ce que faire de la peinture?
C’est en réfléchissant sur le « faire » que je suisretournée marcher. En bordure du fleuve, je marche parmi les phragmites. À l’affût, j’observe. Je me demande : et si la précarité était, comme le propose Anna Tsing, le concept pour penser le monde que nous habitons? « La précarité désigne la condition dans laquelle on se trouve vulnérable aux autres. Chaque rencontre imprévue est l’occasion d’une transformation : nous n’avons jamais le contrôle, même pas de nous-mêmes ».En m’ouvrant à l’altérité, c’est le monde végétal qui m’apprend à voir autrement. Il faut parfois se perdre pour se laisser troubler par la généreuse diversitéde ces espaces délaissés.Et laisserles roseaux envahir les marges indociles de nos espaces colonisés.
Mon exposition prendra la forme d’une installation en peinture qui tentera de restituer la fiction du lieu. J’entrevois l’espace d’exposition comme des jardins précaires. La peinture devient ainsi un lieu d’expérience et de rencontre. Elle se déploie comme un environnement immersif qui en explore les potentialités de sa matérialité.Par une approche critique de l’abstraction, je puise dans ses motifs pour imaginer denouvelles structures inspirées du monde végétal.C’est par la friction de leur agencement que prennent forme des récits inédits.Des histoires qui relient et tissent de nouvelles sensibilités entre les communautés humaines et non-humaines. En décentrant les regards, qu’est-ce que la peinture donne à voir?
Mes mains au travail transforment la toile et fragmentent la surface. Les traces de mes gestes s’y additionnent. Les effets hasardeux de la matière s’y impriment. D’étranges motifs s’entrelacent et entre en tension. Les couleurs foisonnent. Désorientée, l’instabilité des surfaces peintes brouille notre vision. Les formes sauvages prolifèrent.Iels cohabitent.