Devenir avec les zinnias


Laetitia de Coninck              

Dans le cadre de mon projet de recherche-création,je m'intéresse aux rapports entre corps humain et corp végétal sans une pratique performative composée d'environnements hybrides. En 2020, j’ai amorcé un cycle de création intitulé Cycle délicat, une série d’évènements proposant des performances participatives de longue durée, sorte de laboratoires d’attention nous invitant à la coprésence avec l'autre végétal. De la même manière que la soie d’asclépiade se dissémine par le vent (Cycle délicat I : Invitation à douceur), lorsque le fruit du physalis murit et tombe par terre (Cycle délicat II : Amortir la chute) ou lorsque les capitules de la bardane s’accrochent à ma jambe (Cycle délicat III : Détachement), ils nous invitent « à porter notre attention à des phénomènes « météorologiques » situés soit en deçà du seuil individuel, soit au-delà. » (Manning, Massumi, 2018) à voir, penser, agir et habiter le monde autrement, à vivre, ici et maintenant. 

Plusieurs auteurs.trices transversalisent ma recherche autour du Cycle de délicat (Tim Ingold, Michael Marder, Isabelle Stengers, Estelle Zhong Mengual) mais c’est Donna Haraway (2020) qui m’incite à développer une « pensée tentaculaire », une pensée qui ne suit pas de ligne droite, mais une myriade de pistes, une pensée qui tâtonne, hésite, s’infiltre, partout en même temps, une pensée qui m’oblige à voir à partir d’une situation, à me laisser affecter par les choses, à « devenir-avec » l’autre, dans des relations responsives et responsables, au-delà de l’exceptionnalisme humain. Pour Haraway cela s’appelle « cultiver la respons(h)abilité. ».  

Pour moi, c’est en allant vers les plantes, là où elles vivent, dans les ruelles, les jardins ou dans les champs, le long du boisé qui mène à la rivière, sur le bord des routes et les terres incultes autour des bâtiments, c’est en passant du temps à les observer, à coopérer avec, à en prendre soin, en partageant avec elle « un temps et un territoire commun » (Zhong Mengual, 2020), que cette « respons(h)abilité » se développe, que quelque chose fait saillance et qu’il devient possible d’entrer en relation de réciprocité entre corps vécus, vivants, enchevêtrés, transformés et engagés dans la construction d’ « un corps étendu » et tentaculaire. 

C’est dans une approche contextuelle, avec ce même « souci relationnel » (Citton, 2014), en pratiquant l’art de l’enquête (Ingold, 2017), plus joliment appelé « méthode de l’espoir » par l’anthropologue Hirokazu Miyazaki, que j’entreprends ma recherche avec les Zinnias, une manière de suivre les pistes du vivant, de voir et d’observer ce qui se passe autour de moi en sorte de pouvoir, en retour, y répondre et pourquoi pas partager l’espoir des fleurs de Zinnias, celui de s’ouvrir « aux possibles de la mutation, du changement » (Coccia, 2019).