Je présente ici quelques oeuvres et travaux en cours, le résultat de plusieurs années de recherches d’archives, historiques et familiales, et d'expérimentations matérielles. Découlant d’une démarche poursuivant des pistes de recherches pour adresser des problématiques en lien avec l’histoire pluriethnique de ma famille, le legs du colonialisme et de son régime esclavagiste, et la mondialisation de produits qui en découlèrent, mon travail gravite dès lors vers l’application plastique de ces derniers pour incarner par une oeuvre la notion de “créolisation.” Cette idée de rencontres entre cultures, qui mènent au développement d’un tout imprévisible, voire chaotique, fut créée par Edward Kamau Brathwaite et popularisé par Édouard Glissant dans son essai Traité du tout-monde. Processus littéraire, la créolisation est définie comme une forme d'hybridation culturelle qui cherche à unir les peuples, quelle que soit leur origine ethnique. L’objectif de ma recherche-création est de chercher à esthétiser cette notion, en créant une oeuvre qui transmettra une expérience.
Point de départ incontournable pour la création d'oeuvres, les archives représentent une matière riche pour évoquer tant mon patrimoine familial que les conditions dans lesquelles celui-ci s’est fondé. Descendant de personnes africaines réduites en esclavage, l’établissement forcé de mes ancêtres dans les Antilles a donné lieu à une identité qui tire ses symboles culturels d’une rencontre de plusieurs peuples, le lien le plus improbable à reconstituer étant celui avec mes ancêtres africains. Certes improbable, mais pas indéniable. Une lecture des archives telles qu’incarnées dans ma personne, mais aussi dans les fondements d’une culture créoles, décèle les traces d’un héritage riche qui lui aussi traversa l’Atlantique. En utilisant dans ma pratique des référents renvoyant à des systèmes de croyances africaines, telle que la gourde calebasse, ou encore des masques dits “traditionnels” africain, ou même des graines de plantes qui ont fait le voyage cachées dans les cheveux tressés des femmes, je renvoie à ce lien patrimonial qui transcende l’espace et le temps.
L’application de matériaux comme le sucre de canne, le café et l’indigo forge aussi un lien avec ces cultures qui furent récoltées par les personnes réduites en esclavage dans les plantations européennes dans les Antilles. Les conséquences de l’édification de régimes esclavagistes dont l’objectif premier est de conférer des bienfaits économiques aux colonies lointaines, au dépit de vies humaines et de l’environnement naturel locaux, continuent de se faire sentir aujourd’hui, de plus d’une manière. Les oeuvres issues de ma recherche tentent d’explorer comment ces cultures, qui sont indissociables de notre vie quotidienne, peuvent révéler ces fondements coloniaux. Le café est particulièrement affectionné par les références à mon historique familial, ma famille ayant été elle-même propriétaire d’une plantation de café. Des expérimentations pour développer la capacité esthétique et plastique de ces matériaux donnèrent lieu à des oeuvres aux factures inattendues, imprévisibles. Cette relation avec la matérialité des oeuvres, le choix de matériaux ayant des référents personnels et culturels, se rapproche aussi des pratiques de Wangechi Mutu et de Rashid Johnson, entre autres.
Par mon travail, comme l’artiste Deanna Bowen, je retrace mon passé familial et réactive ces documents qui portent en eux une charge historique qui informe de mon identité. Ces archives une fois réactivées incarnent ma créolité et celle de ma famille. Il y a ici un désir de réappropriation de l’archive pour la rendre vivante, pour lui permettre de témoigner non pas de cette fiction coloniale, mais le projeter dans un vécu humain. Des reproductions directes, ou un traçage de textes et d’images trouvées réfèrent à des documents clés de la construction d’un historique imbue d’un désir d’agentivité des peuples autrefois réduits en esclavage. L’artiste Kara Walker représente par ses oeuvres des récits de la sorte, tout en mettant aussi à nu les horreurs du régime esclavagiste. Cet effort d’agentivité s’inscrit également dans la même mouvance que les écrits de Frantz Fanon, notamment son essai Peau noire, masques blancs.
Alors que continuent à avancer les expérimentations et essais qui mèneront à la création de l'oeuvre de mon projet de recherche-création, les travaux ici présentés établissent une base à partir de laquelle je la développerai. La notion de « créolisation » étant un principe-cadre de ma recherche-création, son intitulé est : Remémoration de traumatismes familiaux et exploration d’espaces créoles retraçant l’impact de la subjugation coloniale par le dessin comme sculpture-installation.