Ryūboku

"Partout, on croise des objets et des matières pris dans des histoires et des flux spécifiques. En les rencontrant, l’on peut saisir des bribes de trajectoire, que celle-ci s'inscrive dans le temps non-humain ou dans celui plus anthropocentré des usages et techniques. Je me suis, tout au long de mon parcours, à plusieurs reprises, attachée à travailler des matériaux recueillis au hasard de mes promenades: crânes, écorces, planches de bois … Ryūboku vient poursuivre cette démarche, en l'approfondissant, via l'exploration des idées de renoncement, de fugacité et de continuum. Plusieurs objets/matériaux sont extraits de leur cours avant d'y revenir, après avoir été pigmentés, peints, et/ou laqués. Ainsi, au printemps 2020, j'ai collecté plusieurs bois flottés sur les rives de la Kamogawa à Kyoto, puis je les ai laqués dans mon atelier, puis restitués, une fois transformés, à la rivière. Plus tard, avant de quitter, prématurément, Kyoto, j'ai récupéré des chutes de bois juste avant leur destruction dans un atelier d’ébéniste. Ces résidus retourneront, quand moi-même je reviendrai à Kyoto, une fois ornés, au feu auquel l'artisan les destinait. Seules des photographies documentaires témoignent du travail de métamorphose effectué sur l'objet, et du geste de sa remise à son cours d'origine. De sa disparition aussi, contraire à l'idée de la collection d'artefact. Ce projet trouve donc son origine au Japon, dans le cadre de ma résidence à la Villa Kujoyama de Kyoto, et dans mes conversations avec le duo d'artistes Pétrel I Roumagnac, mes co-résidents à la Villa Kujoyama. Les photographies inaugurales du projet ont d'ailleurs été réalisées par ces derniers. Avec ce nouveau projet, je cherche à questionner la permanence et la stabilité de l'objet laqué, qui, ici, échappe à sa fixation habituelle, en se libérant de la prise humaine définitive, dans un mouvement de continuum avec les éléments. Je n'envisage donc plus ici la création dans la direction finalisante d'une exposition de l'objet d'art, puis de l'archivage de ce dernier dans une collection, mais comme un moment, un passage, une parenthèse, un instant, peut-être plus modeste, car non-interruptif, de ma relation au monde matériel."