La vie après tout : Mythes, visions, hallucinations et récits intimes contemporains explorés par le biais de la sculpture et de l’empreinte
Je ne peux m’empêcher de penser à quel point faire de l’art est rendu un acte guérisseur de ma maladie psychotique. Je ne peux m’empêcher de penser que je recrée des parties de corps, principalement des têtes comme des esprits qui me protègent de mes déformations perceptuelles. Au fil du temps, et depuis mon diagnostic de trouble psychotique, je ne peux plus m’arrêter de faire de l’art. Comme si, les sculptures de corps étaient des gardiens qui stoppaient mon dépérissement vers l’invalidité.Tant que je fais de l’art tant, je me sens protégée. L’art me permet d’avoir une énorme capacité d’introspection qui me permet de composer avec la vie. Je reproduis des êtres de confiance qui apparaissent comme des esprits des moulages de mes amis que j’ai pris empreinte au fil des années. Un trouble psychotique porte à la méfiance et prélever empreinte permet la reconstruction de la confiance que je perds avec ma paranoïa. Mes sculptures évoquent pour moi des êtres bienveillants et une présence dans mon univers qui est un autre de la réalité tel qu’on la perçoit. Lors des séances de moulage, le modèle doit faire confiance et je dois lui faire confiance en retour car le processus de moulage peut s’avérer dangereux. C’est dans ces séances, les rares moments que j’ai pleine confiance en ce monde. Mon ressentiment que la vie est dangereuse, s’estompe l’ombre d’un instant pour faire place à une énorme pulsion de vie pour contrebalancer avec le risque de mort que peut être le fait de mouler quelqu’un. La confiance est alors fondamentale.
Depuis que je fais ces sculptures, je sens une présence dans mes perceptions dont je suis la seule à comprendre. Lorsque j’ai découvert le monde de David Altmejd, particulièrement sa sculpture Sarah Altmejd, j’ai réalisé l’intensité de la présence d’une illusion humaine. Comme un lien affectif qui se développe avec un être inerte, mais dont l’évocation humaine rassure. Depuis, dans ce temps, je ne peux m’empêcher de prélever des empreintes comme des obsessions. Je vois dans les yeux souvent fermés de mes sculptures et dans les visages inanimés de mes pièces une porte vers l’infini, le repos éternel. L’emprise d’une tête humaine figée et reposée dans un matériau éternel. Se voir comme si l’on était mort est se voir enfermé dans ce qu’est l’infini. La pièce Sarah Altmejd est le portrait de la sœur d’Altmejd dont la tête est défoncée. C’est à ce moment que j’ai compris la possibilité infinie de mise en scène que l’on peut faire par le biais de la sculpture issue d’un moule.
Georges Didi-Huberman parle dans son livre d’archéologie de l’empreinte, à quel point l’empreinte est un enregistrement de l’humanité.Faire du moulage me permet de capturer ma réalité et est la preuve que ce que je perçois existe. Par la suite, transformer en œuvre d’art les pièces moulées laisse exister ma créativité à son tour. Comme si alors, la réalité pouvait cohabiter avec ma maladie et mon monde dans lequel je suis coincée à cause de ma maladie. Je ne pourrai plus jamais cesser de créer, il en va de ma santé mentale.